Histoire du cannabis en Suisse : Entre tradition, prohibition et évolution législative
À travers les siècles, le cannabis a joué un rôle significatif dans l’histoire suisse, oscillant entre ressource économique précieuse, substance prohibée et, plus récemment, objet d’un débat sociétal nuancé. Ce parcours sinueux reflète non seulement l’évolution des connaissances scientifiques sur cette plante, mais aussi les transformations des valeurs sociales, des priorités politiques et des approches de santé publique dans la Confédération helvétique. De la culture traditionnelle du chanvre dans les vallées alpines aux discussions contemporaines sur sa légalisation, l’histoire du cannabis en Suisse constitue un microcosme fascinant des changements d’attitudes envers les substances psychoactives en Europe.
Les racines historiques : le chanvre dans la Suisse traditionnelle
Une culture millénaire
L’histoire du cannabis en Suisse plonge ses racines dans un passé lointain. Des analyses archéologiques ont révélé la présence de fibres de chanvre dans des sites datant du Néolithique sur le territoire helvétique, suggérant une familiarité précoce des populations locales avec cette plante polyvalente. Cependant, c’est véritablement au Moyen Âge que la culture du chanvre s’est ancrée profondément dans le paysage agricole suisse.
Entre le XIIIe et le XIXe siècle, le chanvre constituait une culture de base pour de nombreuses communautés rurales suisses, particulièrement dans les cantons de Berne, Lucerne, Saint-Gall et dans certaines vallées tessinoises. Les conditions climatiques modérées et les sols fertiles de ces régions offraient un environnement idéal pour cette plante robuste. Sa culture s’intégrait parfaitement dans le cycle agricole traditionnel et formait un pilier de l’économie domestique rurale.
Un matériau aux usages multiples
L’importance du chanvre dans la Suisse préindustrielle tenait à la polyvalence remarquable de cette plante. Les fibres extraites des tiges servaient à la confection de textiles durables : vêtements, draps, sacs et toiles. Ces textiles, connus pour leur résistance exceptionnelle, constituaient des biens précieux souvent transmis de génération en génération dans les familles rurales.
Par ailleurs, les cordes de chanvre, particulièrement résistantes, jouaient un rôle crucial dans une Suisse montagneuse où l’alpinisme et le transport de charges lourdes nécessitaient des matériaux fiables. La marine lacustre suisse, active sur les grands lacs comme le Léman ou le lac de Constance, dépendait également des cordages et voiles en chanvre.
La production de papier représentait un autre débouché significatif. Plusieurs moulins à papier établis le long des rivières suisses utilisaient les fibres de chanvre comme matière première. Ce papier servait tant aux administrations cantonales qu’aux imprimeries, contribuant à l’essor culturel et administratif de la Confédération.
L’huile extraite des graines de chanvre éclairait les foyers suisses avant l’avènement du pétrole et de l’électricité. Cette même huile entrait dans la composition de savons, de vernis et de peintures, tandis que les graines elles-mêmes enrichissaient l’alimentation humaine et animale grâce à leur haute valeur nutritive.
Applications médicinales traditionnelles
Dans la pharmacopée traditionnelle suisse, le cannabis occupait une place non négligeable. Les herboristes et guérisseurs des villages alpins préparaient des décoctions, onguents et teintures à base de diverses parties de la plante pour traiter un éventail de maux.
Des manuscrits médicaux conservés dans des monastères comme celui d’Einsiedeln mentionnent l’utilisation du chanvre pour soulager les douleurs articulaires, particulièrement fréquentes chez les populations montagnardes soumises à des travaux physiques intenses. Les préparations à base de cannabis servaient également à apaiser les troubles digestifs, les inflammations cutanées et certaines affections respiratoires.
La jaunisse, comme mentionné dans les textes historiques, figurait parmi les conditions traitées par les extraits de cannabis. Les sages-femmes l’employaient parfois pour atténuer les douleurs de l’accouchement ou stimuler les contractions utérines, bien que ces pratiques aient varié considérablement selon les régions et les traditions locales.
Il convient toutefois de noter que ces applications médicinales traditionnelles reposaient sur des connaissances empiriques et non sur une compréhension scientifique moderne des cannabinoïdes et de leurs effets physiologiques. De plus, les variétés de chanvre cultivées en Suisse à des fins industrielles contenaient généralement des taux relativement faibles de THC, limitant leurs effets psychoactifs.
Le déclin de la culture traditionnelle
Le XIXe siècle marque le début du déclin de cette culture traditionnelle en Suisse. L’industrialisation transforme profondément l’économie helvétique, introduisant des matériaux concurrents qui supplantent progressivement le chanvre dans ses applications traditionnelles.
L’importation de coton, facilitée par l’amélioration des réseaux commerciaux internationaux, offre une alternative plus économique pour l’industrie textile. Les processus de traitement du coton, plus simples et plus adaptés à la mécanisation, représentent un avantage concurrentiel décisif face au chanvre, dont la transformation demeure laborieuse et largement manuelle.
Parallèlement, l’introduction de fibres synthétiques, de papiers produits à partir de pâte de bois, et d’huiles minérales accélère la marginalisation du chanvre dans l’économie suisse. Les surfaces cultivées diminuent progressivement, et avec elles, une partie du savoir-faire traditionnel lié à cette plante.
Cette évolution économique coïncide avec l’émergence progressive d’une perception négative du cannabis dans sa dimension psychoactive, influencée notamment par les mouvements prohibitionnistes internationaux qui prendront de l’ampleur au début du XXe siècle.
L’ère de la prohibition : le cannabis devient illégal
Contexte international et premières restrictions
Le tournant du XXe siècle marque un changement radical dans la perception du cannabis à l’échelle mondiale. Les États-Unis, en particulier, initient une campagne de stigmatisation des substances psychoactives, incluant le cannabis aux côtés de l’opium et de la cocaïne. Cette mouvance prohibitionniste s’internationalise rapidement via des conférences et traités internationaux.
La Suisse, bien que traditionnellement attachée à son indépendance politique, n’échappe pas à cette tendance mondiale. En tant que siège de la Société des Nations à Genève, le pays se trouve au cœur des discussions internationales sur le contrôle des drogues. Les conventions internationales, comme la Convention Internationale de l’Opium (1912) et ses versions ultérieures, exercent une pression croissante sur les législations nationales.
De plus, l’émergence d’une médecine moderne fondée sur des principes scientifiques contribue à marginaliser les remèdes traditionnels à base de plantes, y compris le cannabis, au profit de traitements pharmaceutiques standardisés. La pharmacopée suisse officielle réduit progressivement la place accordée aux préparations cannabiques.
La loi de 1951 : première interdiction formelle
C’est dans ce contexte que la Suisse adopte en 1951 sa première législation restrictive significative concernant le cannabis. Cette loi marque une rupture avec des siècles de coexistence relativement paisible entre la société suisse et cette plante.
La loi de 1951 introduit le cannabis dans la catégorie des substances contrôlées, limitant strictement sa culture et son utilisation aux applications scientifiques et médicales sous licence. Cette législation reflète l’influence grandissante du modèle prohibitionniste international, bien que son application reste initialement relativement souple dans certains cantons ruraux où persistaient des usages traditionnels.
L’impact immédiat de cette législation reste limité dans la société suisse des années 1950, où l’usage récréatif du cannabis demeure marginal. Toutefois, elle pose les fondements juridiques d’une approche restrictive qui s’accentuera dans les décennies suivantes.
Durcissement législatif de 1975
La véritable rupture intervient avec la révision de la loi sur les stupéfiants de 1975. Ce durcissement législatif s’inscrit dans un contexte social particulier : l’émergence de la contre-culture des années 1960-70 et la popularisation de l’usage récréatif du cannabis parmi la jeunesse.
Cette révision étend considérablement la portée de la prohibition en criminalisant non seulement la production et la distribution, mais également la simple consommation de cannabis. Les sanctions prévues incluent des amendes et des peines d’emprisonnement, reflétant la vision dominante du cannabis comme “porte d’entrée” vers des drogues plus dangereuses.
La nouvelle législation confère aux autorités des pouvoirs étendus pour poursuivre les consommateurs et les producteurs. Elle établit un cadre répressif qui guidera la politique suisse en matière de cannabis pendant près de trois décennies, avec des conséquences significatives tant sur le plan judiciaire que social.
Conséquences de la prohibition stricte
L’approche prohibitionniste adoptée par la Suisse produit des résultats mitigés. D’une part, elle contribue à limiter la prévalence du cannabis par rapport à ce qu’on observe dans certains pays voisins. D’autre part, elle engendre plusieurs effets pervers caractéristiques des politiques prohibitionnistes :
- Émergence d’un marché noir : La demande persistante pour le cannabis encourage le développement d’un commerce illicite, souvent contrôlé par des réseaux criminels profitant de marges bénéficiaires considérables sur un produit interdit.
- Judiciarisation de consommateurs : Des milliers de citoyens suisses, principalement jeunes, se retrouvent poursuivis pour des infractions liées à la consommation personnelle, entraînant des casiers judiciaires qui compliquent leur insertion professionnelle.
- Coûts pour le système judiciaire : Les ressources policières et judiciaires mobilisées pour appliquer l’interdiction du cannabis représentent un coût significatif pour les finances publiques.
- Obstacles à la recherche : Le statut illégal du cannabis complique considérablement les études scientifiques sur ses propriétés médicinales potentielles, freinant l’avancement des connaissances dans ce domaine.
- Stigmatisation : La criminalisation contribue à stigmatiser les consommateurs, entravant le développement d’approches de réduction des risques et d’éducation objective sur les effets de la substance.
Ces conséquences, progressivement reconnues par les experts en santé publique et en politique des drogues, alimenteront les réflexions qui conduiront, au tournant du millénaire, à reconsidérer l’approche strictement prohibitionniste.
L’évolution vers une approche plus nuancée (1990-2010)
Les années 1990 : émergence du débat public
Les années 1990 marquent un tournant dans l’approche suisse des politiques des drogues en général. La crise de l’héroïne, particulièrement visible dans les “scènes ouvertes” comme le Platzspitz de Zurich, pousse les autorités à repenser fondamentalement leurs stratégies.
La Suisse développe alors sa politique des “quatre piliers” (prévention, thérapie, réduction des risques et répression) qui privilégie une approche de santé publique pragmatique plutôt qu’une répression pure. Cette nouvelle philosophie, initialement focalisée sur les drogues “dures”, influence progressivement la perception du cannabis.
Parallèlement, des études internationales remettent en question la dangerosité attribuée au cannabis et soulignent les coûts disproportionnés de sa criminalisation. En Suisse, plusieurs commissions d’experts, dont la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, commencent à recommander une révision de la politique cannabique.
Le débat public s’intensifie, nourri par les médias et des initiatives citoyennes. Des associations comme “Legalize it” se forment pour militer en faveur d’une réforme législative, tandis que des sondages révèlent une évolution des mentalités dans la population, particulièrement chez les jeunes générations.
La tolérance de facto et les “magasins de chanvre”
Une situation paradoxale émerge dans les années 1990 : tout en maintenant officiellement l’interdiction du cannabis, certains cantons suisses développent une politique de tolérance de facto. Les forces de l’ordre, suivant des directives internes, accordent une faible priorité aux poursuites pour simple consommation ou possession de petites quantités.
Cette ambiguïté crée un espace pour l’apparition des fameux “magasins de chanvre” (Hanfläden). Ces commerces exploitent une zone grise juridique en vendant du cannabis présenté comme “coussin olfactif” ou “objet décoratif”, accompagné d’avertissements stipulant que le produit n’est “pas destiné à la consommation”.
À leur apogée, plusieurs centaines de ces magasins opèrent ouvertement à travers la Suisse, particulièrement dans les centres urbains comme Zurich, Berne, Bâle et Genève. Cette situation unique en Europe illustre la complexité de la position suisse, tiraillée entre le respect des conventions internationales et une approche pragmatique de tolérance.
La tentative de révision législative des années 2000
En 2001, le Conseil fédéral propose une révision majeure de la loi sur les stupéfiants visant à décriminaliser la consommation et la possession de cannabis pour usage personnel. Ce projet, fruit de longues consultations avec des experts en santé publique, en droit et en politique sociale, reflète une volonté d’adapter la législation aux réalités sociales.
La proposition envisage un modèle de “dépénalisation contrôlée” : la consommation adulte ne serait plus sanctionnée pénalement, tandis qu’un cadre régulateur strict serait maintenu pour la production et la distribution. Ce modèle s’inspire partiellement de l’expérience néerlandaise tout en conservant des spécificités helvétiques.
Après plusieurs années de débats parlementaires et une polarisation croissante des positions politiques, le projet est finalement rejeté par le Parlement en 2004. Ce rejet marque un coup d’arrêt temporaire pour les réformes et conduit à une période de confusion juridique, les différents cantons adoptant des pratiques disparates.
L’initiative populaire de 2008 et la réforme de 2012
Face à l’échec de la voie parlementaire, les partisans de la réforme se tournent vers l’instrument emblématique de la démocratie directe suisse : l’initiative populaire. En 2006, l’initiative “Pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse” est lancée, récoltant plus de 100 000 signatures.
Cette initiative propose la légalisation de la consommation, de la possession, de l’acquisition et de la culture du cannabis pour usage personnel, tout en maintenant l’interdiction de sa vente commerciale. Elle intègre également des mesures spécifiques de protection de la jeunesse.
Soumise au vote populaire le 30 novembre 2008, l’initiative est rejetée par 63% des votants et tous les cantons. Ce résultat reflète les réticences persistantes d’une majorité de la population suisse face à une légalisation complète, particulièrement dans les régions rurales et conservatrices.
Paradoxalement, ce rejet clair ouvre la voie à une solution de compromis. En 2012, une réforme plus modeste de la loi sur les stupéfiants est adoptée, introduisant le système d’amendes d’ordre pour la consommation de cannabis. Cette modification législative significative dépénalise de facto la possession de petites quantités (moins de 10 grammes) en remplaçant les poursuites pénales par une simple amende administrative de 100 francs suisses.
La situation contemporaine : entre pragmatisme et évolution
Le cadre juridique actuel
Le cadre législatif suisse concernant le cannabis présente aujourd’hui plusieurs niveaux de régulation qui reflètent l’évolution progressive de l’approche helvétique :
1. Distinction fondamentale basée sur la teneur en THC : La législation suisse établit une distinction claire entre le “cannabis légal” contenant moins de 1% de THC (seuil nettement plus élevé que la norme européenne de 0,2-0,3%) et le cannabis considéré comme stupéfiant au-delà de ce seuil.
2. Régime des amendes d’ordre : Pour la possession de moins de 10 grammes de cannabis à usage personnel, les adultes s’exposent uniquement à une amende administrative de 100 francs suisses, sans inscription au casier judiciaire. Cette approche, introduite en 2012, a significativement réduit la judiciarisation des consommateurs.
3. Maintien de sanctions pénales : La culture, la vente et la possession de quantités importantes demeurent des infractions pénales pouvant entraîner des poursuites judiciaires. Ces dispositions visent principalement le trafic organisé plutôt que les consommateurs.
4. Variations cantonales : En vertu du fédéralisme suisse, l’application de ces dispositions varie considérablement d’un canton à l’autre. Les cantons urbains comme Genève ou Zurich tendent à adopter une approche plus tolérante que les cantons ruraux ou conservateurs.
5. Cadre pour le cannabis médical : Depuis 2011, un cadre spécifique permet aux médecins de prescrire des préparations à base de cannabis pour certaines indications médicales, moyennant une autorisation exceptionnelle de l’Office fédéral de la santé publique. Ce système, initialement très restrictif, a été progressivement assoupli face aux preuves croissantes des bénéfices thérapeutiques.
L’essor du “cannabis légal” (CBD)
Un phénomène remarquable de ces dernières années a été l’explosion du marché du “cannabis légal” riche en CBD et pauvre en THC (moins de 1%). Cette évolution inattendue a transformé le paysage cannabique suisse depuis 2016.
Des centaines de producteurs, détaillants et startups se sont lancés dans ce secteur émergent, proposant fleurs, résines, huiles et produits dérivés riches en CBD. Ces produits sont commercialisés légalement dans des boutiques spécialisées, bureaux de tabac, stations-service et même grandes surfaces.
Ce marché florissant, estimé à plusieurs centaines de millions de francs annuels, a créé une situation inédite où des produits visuellement et olfactivement identiques au cannabis “classique” sont vendus ouvertement, créant parfois une confusion tant chez les consommateurs que pour les forces de l’ordre.
L’émergence de ce secteur a également stimulé la recherche agricole et scientifique sur les variétés de cannabis à faible teneur en THC et leurs applications potentielles. Plusieurs régions rurales traditionnelles ont vu dans cette culture une opportunité de diversification économique.
Usages et perceptions dans la société suisse contemporaine
Le cannabis occupe une place particulière dans le paysage des substances psychoactives en Suisse. Les enquêtes épidémiologiques révèlent des tendances significatives :
- Prévalence élevée : Environ 36% des Suisses déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie, plaçant la Suisse légèrement au-dessus de la moyenne européenne.
- Consommation régulière limitée : Environ 4% de la population rapporte une consommation au cours du dernier mois, et seulement 1,1% présente un usage considéré comme problématique.
- Profil des consommateurs : La consommation reste plus élevée chez les 15-34 ans et dans les zones urbaines, avec une prédominance masculine, bien que l’écart entre les genres se réduise progressivement.
- Perception des risques : Les enquêtes montrent une évolution des perceptions, avec une proportion croissante de Suisses considérant que les risques du cannabis ont été surestimés, particulièrement en comparaison avec l’alcool ou le tabac.
- Acceptation sociale variable : L’acceptation sociale du cannabis varie considérablement selon les régions linguistiques (plus élevée en Suisse romande), les générations et les milieux socio-culturels.
Ces tendances s’inscrivent dans un contexte plus large de normalisation progressive du cannabis dans la culture populaire, les médias et les discussions politiques. Toutefois, des préoccupations persistantes concernent les risques pour les adolescents, la sécurité routière et les effets potentiels sur la santé mentale des personnes vulnérables.
Les expérimentations pilotes et l’initiative parlementaire
Face aux évolutions internationales (légalisation au Canada, dans plusieurs États américains et en Uruguay) et aux limites des politiques actuelles, la Suisse a choisi d’explorer prudemment de nouveaux modèles de régulation.
En septembre 2020, le Parlement suisse a adopté une modification de la loi sur les stupéfiants autorisant des “essais pilotes” de distribution contrôlée de cannabis à des fins non médicales. Ces expérimentations scientifiques, encadrées par des protocoles rigoureux, visent à évaluer les effets de modèles alternatifs de régulation sur la santé publique, la consommation, le comportement du marché et la protection de la jeunesse.
Plusieurs villes majeures comme Zurich, Berne, Genève et Bâle ont développé des projets dans ce cadre, impliquant des pharmacies, des associations de consommateurs et des structures sociales. Ces essais, limités dans le temps et l’espace, permettront de collecter des données empiriques pour éclairer les futures décisions politiques.
Parallèlement, l’association “Legalize it” a lancé en 2022 une nouvelle initiative populaire visant à légaliser la consommation, la culture et la possession de cannabis, tout en établissant un cadre régulateur pour sa production et sa distribution commerciale. Cette initiative, qui doit encore récolter les 100 000 signatures nécessaires, témoigne de la persistance du débat dans la société civile.
Conclusion : vers une nouvelle approche ?
L’histoire du cannabis en Suisse illustre une trajectoire remarquable : d’une plante traditionnellement intégrée dans l’économie et la culture locales, à une substance prohibée, puis progressivement reconsidérée à travers le prisme de la santé publique et des droits individuels.
Cette évolution reflète la tension constante entre différentes valeurs fondamentales de la société suisse : pragmatisme, fédéralisme, innovation scientifique, protection de la santé publique et libertés individuelles. Le modèle helvétique se distingue par sa capacité à développer des approches nuancées et progressives, évitant tant les excès prohibitionnistes que les libéralisations précipitées.
Aujourd’hui, la Suisse semble s’orienter vers un modèle de régulation qui reconnaît la réalité de la consommation tout en cherchant à en minimiser les risques. Les expérimentations pilotes en cours pourraient ouvrir la voie à une légalisation encadrée, inspirée des modèles canadien ou uruguayen mais adaptée aux spécificités suisses.
Cette évolution s’inscrit dans une tendance internationale plus large de remise en question des politiques prohibitionnistes, mais conserve des caractéristiques distinctement helvétiques : approche scientifique, consultation des parties prenantes, respect du fédéralisme et progression par étapes mesurées.
Le futur du cannabis en Suisse dépendra de nombreux facteurs : résultats des expérimentations pilotes, évolution de l’opinion publique, développements internationaux et émergence éventuelle d’un consensus politique. Une chose est certaine : l’approche suisse continuera de privilégier le pragmatisme et les données probantes plutôt que les positions idéologiques, fidèle à sa tradition de solutions équilibrées face aux enjeux sociétaux complexes.