Alors que le trafic de stupéfiants ne cesse de croître en France, deux députés, Antoine Léaument (La France Insoumise) et Ludovic Mendes (Renaissance), ont présenté le 17 février un rapport ambitieux prônant une légalisation « à la française » du cannabis et une dépénalisation de l’usage d’autres drogues. Ce document, fruit de 17 mois de travail et contenant 63 propositions, vise à « assécher le marché illégal » et à réorienter les politiques publiques vers la prévention plutôt que la répression .
💬 « La légalisation permettrait d’assécher le marché illégal pour le transférer vers un marché légal. »
Ludovic Mendes, député (EPR) de Moselle, porteur d’un modèle de légalisation du cannabis #CharlesMatin pic.twitter.com/qUo0AnEtVS
— RMC (@RMCInfo) February 17, 2025
Les propositions phares du rapport
1. Légalisation encadrée du cannabis:
– Création d’une « Autorité de régulation du cannabis » (ARCAN) pour délivrer des licences aux producteurs et détaillants, contrôler les prix (entre 5 et 10 euros le gramme) et encadrer la qualité des produits .
– Possession légale limitée à 10 grammes (selon Mendes) ou 25 grammes (selon Léaument), et culture domestique autorisée jusqu’à 4 plants par foyer .
– Modèles de distribution divergents : monopole d’État pour Léaument vs. marché privé régulé pour Mendes .
2. Dépénalisation des autres drogues :
– Possession de moins de 3 grammes de cocaïne, ecstasy ou héroïne ne serait plus sanctionnée pénalement, mais orientée vers des structures de soins .
– Objectif : concentrer les ressources policières et judiciaires sur les trafiquants, jugés responsables de 80 % des saisies de stupéfiants .
3. Mesures complémentaires :
– Réinvestissement des quartiers touchés par le trafic via une police de proximité et des politiques urbaines volontaristes .
– Campagnes de prévention axées sur les risques sanitaires, notamment pour les jeunes .
Une opposition gouvernementale ferme
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le garde des Sceaux Gérald Darmanin ont vivement critiqué ces propositions, les qualifiant de « discours de défaite » et de « coup de poignard à la société ». Retailleau insiste sur les « troubles psychiatriques » chez les jeunes et le risque de perpétuer un « marché au noir » . Darmanin, quant à lui, rejette toute dépénalisation, estimant qu’elle « libère le champ aux trafiquants » .
Le gouvernement privilégie une approche répressive, avec un projet de loi en cours d’examen visant à renforcer les sanctions contre le narcotrafic, incluant la création d’un parquet national anticriminalité organisée .
Arguments en faveur d’un changement de modèle
– Échec du « tout-répressif » : Malgré des décennies de prohibition, la France compte 1,4 million de consommateurs réguliers de cannabis, et les saisies de cocaïne ont augmenté de 130 % entre 2023 et 2024 .
– Exemples internationaux : Le Portugal (dépénalisation en 2001) et l’Allemagne (légalisation en 2024) sont cités comme modèles réduisant les risques sanitaires et le crime organisé .
– Soutien d’experts : La Fédération Addiction souligne que la pénalisation aggrave les problèmes sociaux et sanitaires, tandis que des addictologues plaident pour une régulation contrôlée .
Réactions contrastées de la société civile
– Police et justice sceptiques : Des syndicats policiers dénoncent un « manque de courage » et craignent une persistance du marché illégal, comme pour le tabac . Certains magistrats pointent le manque de moyens pour juger les trafiquants, avec des dossiers datant de 2013 encore en attente .
– Opinion publique favorable: Un sondage Ifop de 2021 révélait que 62 % des Français soutiennent une commercialisation étatique du cannabis pour lutter contre le trafic .
Perspectives politiques
Si le rapport ne sera probablement pas adopté en l’état, ses auteurs comptent déposer des amendements lors de l’examen du projet de loi sur le narcotrafic. Antoine Léaument défend une « logique de santé publique », rappelant que « l’État n’a aucun intérêt à favoriser la consommation, contrairement aux trafiquants » .
Cependant, Emmanuel Macron reste opposé à la légalisation récréative, bien qu’ouvert à une réflexion sur le cannabis thérapeutique, actuellement en phase d’évaluation par le ministre de la Santé Yannick Neuder .
Conclusion
Ce débat relance une question récurrente depuis 2014, date des premières propositions parlementaires similaires. Alors que l’Allemagne et d’autres pays européens avancent, la France semble encore tiraillée entre une approche pragmatique et une tradition répressive. Les prochains mois diront si ce rapport transpartisan parvient à infléchir la doctrine gouvernementale ou restera lettre morte, comme ses prédécesseurs.